Télétravail obligatoire : comment être en conformité en période de crise sanitaire ?

8 min Publié le
Josephine Colson Chargée de contenu éditorial

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Encore une fois, le télétravail s’impose pour les postes « télétravaillables ». Mais ce n’est pas parce qu’une fonction est facilement exerçable à domicile que le retour à la « maison » est simple. Enfants en bas âge, logements non conçus pour une telle promiscuité quotidienne ou simplement isolement… le télétravail à temps complet ne fait pas l’unanimité. Alors le télétravail « obligatoire » ? Comment et à quelles conditions ? Quelle est la valeur juridique du protocole sanitaire ? Comment le respecter tout en offrant à ses salariés des conditions de retour au bureau conformes ? Analyse des textes de loi et bonnes pratiques RH pour s’assurer de la bonne santé de tous.

Rappel de la définition du télétravail

Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication (Articles L1222-9 à L1222-11 du code du travail).

En cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure, le télétravail peut être imposé par l’employeur sans l’accord des salariés. Important : La menace d’une épidémie est une circonstance exceptionnelle permettant d’imposer le télétravail au salarié sans son accord (article L. 1222-11 du code du travail).

Un Accord National Interprofessionnel a également été conclu pour mieux définir et encadrer la définition du télétravail : l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail.

Dans le cadre de la crise sanitaire actuelle « Covid-19 », le ministère du travail a diffusé un protocole sanitaire à destination des entreprises, mis à jour à plusieurs reprises.

Qu’est-ce que le télétravail « obligatoire » ? Cela pose la question de la valeur juridique du protocole sanitaire

Le syndicat de la plasturgie a contesté l’application stricte du protocole sanitaire car il implique la mise en œuvre de règles prescriptives, mais qui sont dépourvues de base légale ou réglementaire directe.

Suite à cette contestation, le Conseil d’État a confirmé la liberté des entreprises à déterminer elles-mêmes et sous leur responsabilité les mesures propres à assurer la santé et la sécurité des salariés pendant cette crise de la Covid-19.

Le Conseil d’État par un jugement en date du 19 octobre 2020 (CE N°444809) n’a pas suspendu le protocole mais avait jugé que le protocole « constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur dans le cadre de l’épidémie de covid-19 en rappelant les obligations qui existent en vertu du code du travail ».

Le Conseil d’État a ensuite apporté de nouvelles précisions dans sa décision du 17 décembre 2020 (CE N° 446797), reconnaissant que si certains termes du nouveau protocole sont formulés en des termes impératifs concernant le télétravail : « le protocole a pour seul objet d’accompagner les employeurs dans leurs obligations d’assurer la sécurité et la santé de leurs salariés » et surtout et c’est un  premier point important : « n’a pas à se substituer à l’employeur dans l’évaluation des risques et la mise en place des mesures de prévention adéquates dans l’entreprise. »

Il apparaît donc clairement que le télétravail ne peut être imposé par principe à l’employeur et qu’il appartient à celui-ci de choisir le mode d’organisation le plus adapté et le plus sécurisé pour les salariés, le télétravail n’étant qu’un outil parmi d’autres et qui doit être évalué compte tenu des risques qu’il peut lui-même générer.

En vertu de l’article L.4121-1 du Code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. À défaut de suivre le protocole sanitaire, il doit pouvoir justifier d’avoir pris toutes les mesures de prévention. Il doit également s’assurer de leur efficacité. « c’est sur ce seul fondement légal » que peuvent être prononcées les mises en demeure par la Direccte et non sur le fondement du protocole ou de l’instruction.

Quels sont les risques pour l’entreprise qui n’applique pas « stricto sensu » le protocole sanitaire ?

Le télétravail en confinementEn cas de contrôle ou de contentieux, il appartiendra à l’entreprise d’établir la pertinence et l’adéquation des mesures prises.

Ainsi, l’observation stricte des dispositions du protocole sanitaire permet de sécuriser la démarche et de bénéficier d’une forme de « présomption de conformité », même si la conformité ne préjuge pas de la sécurité réelle.

Plus l’entreprise prendra le parti de s’écarter de ce protocole, plus elle s’expose à devoir se justifier et donc être en mesure de prouver, au regard de l’évaluation des risques et des principes de prévention, la nécessité, la pertinence, la cohérence et l’adéquation des mesures d’adaptation qu’elle a mises en œuvre.

Sanctions possibles :

  • Mises en demeure de la Direccte (Article L.4721-1 et 4741-1 du code du travail) pouvant aller jusqu’à la saisine du juge pénal (selon le niveau de risque encouru par les salariés, article L.4732-1 du code du travail).
  • En cas de contamination au bureau : mise en responsabilité de l’employeur (civile et pénale)
    • Nota : en cas d’infection d’un salarié à la Covid-19 pris en charge au titre d’un accident du travail par la sécurité sociale, une éventuelle faute inexcusable de l’employeur qui ouvre droit à une réparation intégrale du préjudice peut être retenue s’il est démontré que l’employeur avait conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
    • Pour que la responsabilité civile de l’employeur soit engagée, une faute doit lui être reprochée par son salarié. L’employeur de son côté dispose d’une exonération possible de responsabilité en prouvant qu’il a mis en œuvre les mesures de prévention. Il s’agit d’une obligation de moyen renforcée (soc., 25 novembre 2015, n° 14-24444 ; Cass. ass. plén., 5 avr. 2019, n° 18-17442).
    • Si la responsabilité pénale de l’entreprise est engagée, elle le serait sur le terrain des délits non intentionnels de l’article 121-3 du Code pénal : il y a délit en cas de « mise en danger délibérée de la personne d’autrui » ou en cas de « faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Encore faut-il que le salarié contaminé puisse prouver que la faute de l’employeur est constituée. C’est-à-dire une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité prévue par la loi, ou une exposition du salarié à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer.

Quelles sont les obligations de l’employeur pendant la crise sanitaire ?

Obligation de sécurité de résultat en matière de santé physique et mentale au travail. C’est-à-dire que l’employeur ne doit pas seulement diminuer les risques mais les empêcher.

Durant la crise sanitaire de la Covid-19 , les mesures à mettre en œuvre sont :

En matière de santé physique (liste non exhaustive) :

  • Empêcher la propagation du virus dans les locaux en mettant en place un protocole sanitaire stricte avec le CSE s’il existe :
    • Limitation à maximum de l’effectif présent (télétravail) par la mise en place d’une jauge
    • Règles de vie au bureau (pas de salle de convivialité/réunions, distance entre les espaces de travail/bureaux…)
    • Fourniture et port systématique du masque type FFP2/chirurgical ou catégorie 1 (limité à 4H)
    • Lingette et désinfectant à disposition avec affichage (vérifier que les locaux sont toujours bien équipés)
    • Respect des sens de circulation
    • Rappel des gestes barrières et notamment des distances de sécurité (2 mètres) y compris entre chaque bureau occupé
    • Veiller à des mesures spécifiques pour les salariés fragiles (bureau individuel si possible, éviter les lieux de passages, les contacts proches même avec le port du masque…)

En matière de santé mentale (liste non exhaustive) :

  • Prévenir des risques psychosociaux : le travail à distance peut parfois entraîner des situations de souffrance, notamment pour les salariés isolés, dès lors que le lien avec la communauté de travail est atténué.
    • Permettre à ceux en grande de souffrance de se rendre sur le lieu de travail dans le cadre d’un protocole stricte et accepté par le salarié (1 jour par semaine)
    • Assurer le suivi du télétravailleur (par le manager) :
      • Charge de travail
      • Conditions de travail
      • Droit à la déconnexion

Et plus concrètement :

  • mettre à jour son document unique d’évaluation des risques et veiller à son adaptation constante ;
  • consulter son CSE s’il existe préalablement à la mise en œuvre d’un protocole sanitaire interne ;
  • communiquer les règles sanitaires à l’ensemble des salariés, par le biais d’affichages, de formations ou de mails (protocole sanitaire interne) ;
  • Rédiger avec le médecin du travail une procédure de prise en charge rapide des salariés symptomatiques ;
  • Désigner un référent « Covid » (qui peut être l’employeur) pour veiller à la mise en œuvre des mesures d’information des salariés et de prévention ;
  • Informer les fournisseurs, prestataires, clients, visiteurs… des mesures mises en place dans les locaux.

Travail de bureau, des préconisations organisationnelles pour assurer la bonne santé des télétravailleurs

Les dernières allocutions présidentielles sont très claires et imposent des règles renforcées pour la mise en œuvre du télétravail :

  • Tous les salariés dont le poste est « télétravaillable » doivent télétravailler à 100 %.
  • Possibilité en cas de souffrance en télétravail et sur demande du salarié de venir au bureau 1 fois par semaine par roulement et en respectant les consignes sanitaires.
  • Postes non « télétravaillable » à définir : apprentis, salariés non autonomes ou qui ne connaissent pas complètement le périmètre de leur poste de travail, permanence informatique pour le suivi du matériel, permanence au standard et personnel administratif ne disposant pas des outils à distance pour réaliser leurs tâches.
  • Permanence alternée de managers par service/équipe pour encadrer l’effectif réduit ci-avant présent.

Bonnes pratiques RH pour les managers

Le télétravail instauré à 100 % et dans des conditions parfois précaires peut devenir la source d’un vrai malaise pour certains salariés. Ce pourquoi les expériences passées et les retours de vos équipes doivent vous inciter à tenir compte de ce changement de paradigme. Travailler à la maison, même avec les outils les plus performants pour exercer en distanciel n’a rien à voir avec un travail exercé dans le cadre habituel du bureau. Nos spécialistes RH recommandent d’instaurer un suivi pendant toute la période de télétravail obligatoire.

  • Suivi individuel des équipes & des salariés :
    • Par exemple un échange convivial en visio-conférence par semaine pour voir si le salarié va bien, s’il arrive à s’organiser ;
    • Une réunion hebdomadaire en visio-conférence par équipe/service petit groupe selon l’organisation de travail pour faire le point sur la charge de travail, l’organisation des tâches ;
    • Rappeler les règles du télétravail et veiller à leur bonne application : déconnexion le soir et week-end, disponibilité aux plages horaires prévues, allumer sa caméra pour un échange entre collègues plus convivial, tolérance sur la disponibilité pour ceux qui doivent garder des enfants de – de 5 ans (crèche, maternelle).

 

Voir aussi l’activité partielle pour garde d’enfants, les conditions d’application.

Retrouvez l’ensemble des mesures et dispositifs de soutiens aux entreprises détaillées et analysées par nos experts dans notre fil d’actu.

Le mot de la fin :

Le protocole sanitaire, on l’a vu, n’a pas de valeur juridique et constitue un ensemble de recommandations. Votre obligation en tant qu’employeur est bien d’assurer la sécurité de vos salariés (physique et mentale). Il s’agit donc s’appuyer sur le protocole bien sûr, mais aussi de renforçer le télétravail et mettant en place des moyens pour accompagner vos salariés dans cette nouvelle organisation de travail.

Sommaire

  1. Rappel de la définition du télétravail
  2. Quels sont les risques pour l’entreprise qui n’applique pas « stricto sensu » le protocole sanitaire ?

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