Repenser le format du contrat de travail 5 jours sur 7
Un mouvement initié dans les années 1990
Nous avons passé près de 100 ans au service de la semaine des 5 jours (on doit ce cadre social à Henri Ford, qui l’avait initié en 1926, ça commence à dater, gloups…).
Pourquoi n’avons nous jamais mis en place de manière collégiale une réduction de la durée hebdomadaire de nos tâches professionnelles ?
Et pourtant, il s’en est passé des choses depuis. Dès 1993, Antoine Riboud, le PDG de Danone exprimait que selon lui, toutes les entreprises devraient passer à des semaines de 32h pour favoriser le recrutement. Qui dit semaine de 32h dit répartition du travail sur 4 jours au lieu de 5.
La semaine de 4 jours est apparue en France à partir de 1996, avec la loi De Robien. Celle-ci permettait aux entreprises volontaires de tester des semaines à 32h pour étudier leur impact sur les recrutements. Selon une étude du Ministère du Travail sur les 400 entreprises ayant testé le dispositif en question, ce sont près de 1.5 millions d’emplois qui auraient pu être créés si l’aménagement du temps de travail avait été élargi à l’ensemble des entreprises du territoire.
Toutefois, les lois Aubry et les 35h de travail sont venues remplacer la loi De Robien au début des années 2000, mettant de côté les projets de semaines de 32h.
30 ans après et une pandémie mondiale en plus, un contexte économique français en berne et des soucis liés au recrutement, réinventer le cadre des 5 jours de travail à raison de 7 ou 8h par jours, serait-il l’une des solutions pour réenchanter le travail de 29,6 millions d’actifs en France ?
Les 3 jours chômés : un eldorado européen
C’est l’ambition en effet de 43 % des salariés en 2023, selon l’étude Robert Half.
Autant de candidats qui seraient prêts à accepter une rémunération moins élevée pour travailler dans une entreprise qui offre un poste en 4,5 jours ou 4 jours.
Prolonger le repos et la santé, favoriser une vie professionnelle productive…
Découvrez le reportage réalisé par France Info autour des entreprises qui ont adopté ce format de travail de 4 jours, qu’elles soient petites ou grandes.
« Le temps pour soi est un indicateur important qui devient plus important que le salaire. Ainsi, plus vous vous sentirez épanoui au travail, moins vous aurez besoin de compenser un manque par la consommation. Vous pourrez donc plus facilement vous adapter à une baisse de salaire, simplement parce que vos intérêts se trouvent ailleurs. » Pauline Mignot de Valence, consultante RH et psychologue pour TS TINGARI.
Côté pays européens, la question de la semaine de travail de quatre jours est de plus en plus prise en considération. De nombreux pays ont ouvert la porte à une expérimentation de cette nouvelle organisation de travail. En Espagne, par exemple, plus de 200 entreprises ont testé la semaine de 32 heures payées 40. Cette nouvelle organisation du temps de travail a permis une meilleure répartition du temps de travail et une meilleure qualité de vie pour les employés, tout en maintenant un haut niveau de productivité.
En Belgique, une autre approche a été adoptée, avec une concentration des 38 heures hebdomadaires sur quatre journées. Elle se nomme “Deal pour l’emploi” et est rentrée en vigueur en novembre 2022. Concrètement, cette loi permet aux collaborateurs de décider du format souhaité pour effectuer leur mission : soit 4 jours ou 5 jours, le tout avec le même temps de travail de 38h, ce qui suppose que les salariés travaillant quatre jours par semaine effectuent des journées de 9h30. Une façon de mettre en place une mesure adaptée aux rythmes de chacun.
En France, selon l’eurodéputé Pierre Larrouturou, c’est actuellement plus de 400 entreprises qui sont passées à la semaine de 32h sans baisse de salaire et pas uniquement dans le domaine du tertiaire, nous pouvons citer : Fleury Michon, Pasquier, la MACIF, Mamie Nova, Monique Ranou…
Ils pratiquent la semaine de 4 jours
Jérémy Clédat, cofondateur de Welcome to the Jungle et Laurent de la Clergerie, fondateur de LDLC. Source photo Welcome to the Jungle
Nous ne pouvons pas aborder la semaine de 4 jours sans citer le pionnier français : Laurent De La Clergerie et son entreprise LDLC.
Ce dirigeant a mis en place ce format en janvier 2021, après une décision prise en 2019.
Livre de Laurent de la Clergerie autour de la thématique de la semaine des 4 jours.
Dans son manifeste de 250 pages “Osez la semaine de 4 jours”, on retrouve les fondamentaux pour bien organiser ce format de travail, les réflexions que cela comporte et tous les avantages collaborateurs et manager. “Je pense vraiment que si demain 30 ou 40 % des Français adoptent ce rythme, on diminue drastiquement le stress, la charge mentale, et au final on change le visage de la France” clame Laurent dans son livre. Laurent de la Clergerie a mis en place la semaine de 32h et ne le regrette pour rien au monde, vous trouverez aisément des informations sur son compte Linkedin. Un bilan qu’il clame positif pour LDLC et ce groupe de collaborateurs répartis dans toute la France.
Et pourtant, l’entrepreneur évoque la complexité du système français en termes de code du travail : “Le contrat à 32 heures n’existe pas en France, il y avait un risque de réduire les retraites des employés, j’ai donc été contraint de mettre tout le monde à temps partiel en augmentant le taux horaire”.
Cet exemple démontre que tout n’est pas encore assez calibré pour devenir la norme nationale : les employeurs ne possèdent pas à date un dispositif lié au code du travail, comme en Belgique.
Un pionnier qui rencontre une autre figure de l’écosystème du “place to work”, Jérémy Clédat, cofondateur de Welcome to the Jungle. Lui aussi, en mai 2019 se lance avec toutes son équipe de 350 collaborateurs dans l’aventure du temps découpé en 4 jours. Pour WTTJ, c’est une continuité d’un positionnement global car la raison d’être de la structure est de “donner au travail une place durable dans nos vies”.
Pour voir comment ce dispositif s’est déroulé chez WTTJ, nous vous laissons découvrir tout le documentaire dédié c’est vraiment enrichissant.
Vous le verrez, au début, certains collaborateurs sont très réfractaires à ce changement de paradigme. Certains collaborateurs partagent leur peur d’une production compressée et une journée de repos qui n’en serait finalement pas une, de peur de ne pas assurer sur les 4 jours.
Des chiffres à l’appui
Lors de la session 2023 du Web2Day, Isabel Ruis Figueiras, growth project manager chez BIZAY, a partagé son expérience autour de la semaine de 4 jours, 6 mois après sa mise en place et voici les points à retenir :
| Conditions globales | Après 4 mois : | Après 6 mois : |
|---|---|---|
| – création d’un modèle proposé en option, 98 % des collaborateurs ont désiré adopter ce nouveau modèle – passage de 40h à 36h par semaine avec 9h par jour en moyenne (elle travaille au Portugal, où le 39h est un 40h)- 0 compromis sur les conditions & avantages de départ (touche pas à mon salaire)- réalisé dans un contexte global avec plusieurs fuseaux horaires |
– tous les collaborateurs prennent leur jour off et indiquent complètement déconnecter (une statistique beaucoup plus basse chez les managers)- 89 % ne souhaitent plus revenir à la semaine de 5 jours | – la productivité horaire mesurée est de +0,6 % alors que BIZAY avait anticipé un chiffre à la baisse !- 88 % des collaborateurs déclarent se sentir mieux engagés, un chiffre qui est de 30 % pour les managers
– l’absentéisme est à la hausse (mais sans qu’on s’explique vraiment ce chiffre) – turn-over à la baisse |
Et côté résonance et attractivité :
- +300 % de CV avec un coût d’acquisition candidat à la baisse
- un projet qui mérite une grande préparation en interne et BEAUCOUP de communication
Ils sont également passés à la semaine de 4 jours sans le regretter :
- YPREMA, recyclage industriel avec un système de roulement pour assurer la continuité
- JC Logistique, société de location d’engins, via un allongement des journées et une pause d’une heure à midi
- IT Partner, infogérance et prestation de services numériques, les journées sont rallongées d’une demi-heure selon un calendrier trimestriel concerté par équipe
- Accenture, entreprise de conseil et de technologie, la possibilité de choisir le format souhaité 4 jours/4 jours et demi ou 5 jours
Des exemples positifs certes mais qui ne doivent pas invisibiliser les avis contre ou bien les réfractaires.
Passer à 4 jours, un mirage pour certains
Un format qui ne correspondrait pas à tous les métiers ?
Julien Le Corre est le cofondateur de l’agence de branding et communication YZ. Ce dirigeant a testé puis boudé, faute de total alignement, l’organisation sur 4 jours. Compte rendu à lire de manière complète dans cet article proposé par Swile.
“Le problème, c’est que nous avons gagné de moins en moins d’appels d’offres, et avons donc enregistré une baisse d’activité. Je ne pourrai jamais savoir si cela était directement lié à la semaine de 4 jours ou à d’autres facteurs (contexte économique), mais j’ai été obligé de m’interroger et prendre les mesures nécessaires”.
On peut trouver également d’autres contre-arguments, qui peuvent s’entendre et sur lesquels il faut être vigilant lors d’une mise en place :
- allongement du temps quotidien pour caler la semaine de 35h en 4 jours = agendas intenses, stress
- reconnexion le jour off
- le jour chômé comme jour pour récupérer de l’intensité des 4 jours
- manque de retour sur l’impact à long terme
- coup marketing pour redorer l’image d’une structure
- moins de présence et donc moins de lien entre les équipes, management et syndicats par exemple
- être obligé de recruter plus pour pallier aux différentes absences hebdomadaires
Travailler moins mais travailler mieux
Après avoir lu cet article, vous en conviendrez, il faut plus être pragmatique que dogmatique.
Dorénavant, la balance est à trouver dans cette question : quelle place les travailleurs ont-ils envie de laisser au travail ?
Il faut penser à l’organisation, l’expérimentation et le retour d’expérience comme véritable points d’échanges et d’ajustements.
Des exemples très simples peuvent permettre des optimisations de temps : se dire que les réunions sont toutes sur une demie journée dans la semaine et ne durent que 45 minutes et non 1h, pour gagner un temps précieux.
L’idée de commencer par les horaires flexibles peut amorcer une évolution vertueuse puis le passage à 4 jours avec accompagnement et phase de test.
Dans tous les cas, l’avenir du travail sera résolument tourné vers l’équilibre vie perso et vie pro !
